Clairefontaine

Clairefontaine qu’on appelait autrefois Clarus Fons est un village de la forêt d’Yveline. Il se situe entre Rambouillet et Saint-Arnoult, son territoire est bordé à l’ouest par la commune de Rambouillet, au nord par les communes de Vieille-Eglise, La-Celle-Les-Bordes et Bullion ; à l’est par celle de Saint-Arnoult et au sud par celle de Sonchamp. Le village se niche au fond d’une vallée où coule une petite rivière : la Rabette.

La région de Clairefontaine était déjà peuplée à l’époque préhistorique, comme en témoignent des objets en silex taillés retrouvés lors de fouilles archéologiques.

A l’époque des Gaulois, l’endroit était habité par les Carnutes, une peuplade vivant entre la Loire et la Seine.

Le pays des Carnutes est bordé au nord par les Parisis dont la capitale est Lutèce et à l’est par les Senons dont la capitale est Sens. La limite des territoires entre les Carnutes et les Parisis est matérialisée par un tracé dont les vestiges sont encore visibles de nos jours entre Clairefontaine et La Celle.

Cette frontière se transforme par la suite en limite de circonscription administrative : La Celle-Les-Bordres est rattachée au diocèse et à la généralité de Paris, tandis que Clairefontaine fait partie du diocèse de Chartres et de la généralité d’Orléans.

Il en est ainsi jusqu’au Premier Empire, époque où est créé l’évêché de Versailles.

Les anciens territoires Gaulois sont transformés par la suite en seigneuries et leur jonction est matérialisée par un poteau : le Poteau des Trois Seigneurs qui a donné son nom à un carrefour forestier situé entre Clairefontaine et Rambouillet.

 

Mais revenons à nos Gaulois. De -58 à -51 av. J.-C. César conquiert progressivement toute la Gaule. Cette conquête s’opère petit à petit et la frontière entre les Carnutes et les Parisis se retrouve dotée de places fortes construites par l’occupant.

Ces camps romains sont nombreux-; on en trouve encore des traces dans les forêts de l’ouest parisien et notamment près de la Villeneuve de Rambouillet.

L’occupation romaine dure 400 ans. Des colonies, des fermes, des résidences campagnardes ou “villas” s’implantent dans les clairières de la forêt d’Yveline. Les villas sont le plus souvent de véritables fermes fortifiées, vivant en autarcie, avec tous les équipements nécessaires à assurer la vie de la communauté atteignant parfois plusieurs centaines de personnes-: moulin, forge, grenier, glacière, thermes, etc.

Des vestiges de ces “villas” ont été découverts à Clairefontaine en plusieurs endroits de la commune.

Chassés de la Gaule en 487, les Romains cèdent la place aux Francs. 

Venus de l’actuelle Belgique. Ils pénètrent en Gaule et fondent un nouveau royaume. L’un de leurs chefs Clovis, s’allie au clergé et s’oppose aux barbares. Il épouse Clotilde, une princesse burgonde, qui le convainc de se convertir au catholicisme. Il se fait baptiser à Reims par l’évêque Rémy, au lendemain de la victoire de Tolbiac en 496.

Clovis prend possession de l’Yveline, territoire privilégié pour la chasse, mais il fait ensuite don de la région à l’Église de Reims placée sous l’autorité de l’évêque Rémy. La nièce de Clovis, Scariberge, veuve d’Arnoult (le futur saint Arnoult), se retire dans un ermitage situé dans un désert (une lande) entre Rumbellitum (Rambouillet) et Hibernie (Rochefort-en-Yvelines). C’est sur ces lieux mêmes que sera construite l’abbaye de Saint-Rémy-des-Landes.

Pépin le Bref fait don à l’église en 768 des bois de Saint-Benoît et de Saint-Arnoult. Cette donation est confirmée par Charlemagne.

La contrée est ensuite gérée par les comtes de Montfort, l’un d’entre eux Simon II fonde l’abbaye Notre-Dame-de-Clairefontaine. C’est autour d’elle que va s’organiser la vie du village pendant sept siècles…

Ainsi on trouvait à Clairefontaine deux abbayes : une située au centre du village près de l’église paroissiale et une autre à Saint-Rémy-des-Landes.

L’histoire de l’abbaye Notre-Dame a été très mouvementée au cours des siècles, d’abord tenue par les chanoines réguliers de Saint-Augustin. Elle vit alors des nombreuses donations reçues de riches paroissiens ayant sans doute quelques péchés à se faire pardonner…

Elle possède aussi des moulins, des bois et des terres agricoles exploitées par les habitants du village. Au XIIIe siècle, on comptait dans la paroisse 44 feux et 110 âmes.

L’abbé supérieur du monastère était un prélat majeur et avait le titre de seigneur de Clairefontaine, avait le droit de porter la mitre et la crosse. Ses pouvoirs lui permettaient de rendre la justice.

Mais après l’aisance vient le temps des malheurs, avec les ravages de la guerre de Cent Ans et les grandes épidémies comme la Peste Noire.

La prospérité du monastère ne revient qu’au début du XVIe siècle, mais elle est de courte durée car le pays est à nouveau dévasté à partir de 1562 par les guerres de religion.

François 1er

Les troubles durent plus de trente ans, entraînant destructions, disette, maladies et ruine !

Le curé avait aussi en charge la tenue du registre d’Etat-Civil instauré par François 1er. Ces registres des baptêmes, mariages et sépultures, n’ont heureusement pas été détruits pendant la Révolution mais transférés à la mairie et les documents les plus anciens que nous possédons remontent à 1582.

Mais à partir du XVIe siècle, l’abbé supérieur n’est plus un religieux mais un abbé commendataire, nommé par le roi. C’est une sorte d’administrateur civil, non ordonné, il est chargé de gérer l’abbaye dont il a acheté la charge et dont il empoche les revenus.

Il en résulte que les moines sont pendant cette période fort maltraités, à tel point qu’ils entrent en conflit avec leur abbé à plusieurs reprises et que l’évêque de Chartres doit intervenir.

Un peu plus tard, un autre abbé cupide ira jusqu’à fracturer les locaux ecclésiastiques pour tenter de faire disparaître la chartre qui régit le fonctionnement de l’institution.

Une décision de justice donne raison à l’abbé et les chanoines réguliers de Saint Augustin quittent leur chère abbaye de Clairefontaine. Ils sont remplacés par douze augustins déchaussés venant de Samathan dans le Gers. Ceux-ci ne seront pas mieux traités et le conflit ne reprend que de plus belle pour se terminer en 1642.

Pendant toutes ces années le monastère entre dans une période de déclin et en 1736, il n’y a plus que six religieux à l’abbaye.

La Révolution précipite la fin de l’établissement monastique : les chanoines le quittent en 1790. Ils ne sont plus que quatre.

Un peu plus tard le patrimoine foncier de l’abbaye est morcelé en trois lots et vendu aux enchères comme bien national : le logis de l’abbé, les bâtiments monastiques, la ferme et la bergerie par ailleurs.

Les terres agricoles sont morcelées et vendues à crédit aux paysans.

Parmi les adjudicataires des anciens bâtiments monastiques, on trouve un propriétaire qui fera planter des arbres fruitiers et de la vigne. Il crée aussi une manufacture de bas de soie et de dentelles qui emploie une centaine de personnes, mais ne fonctionne que quelques années.

L’autre abbaye a été construite à Saint-Rémy des Landes, un lieu situé entre Clairefontaine et Sonchamp, à l’endroit où Scariberge veuve de Saint-Arnoult avait choisi de se retirer.

Une petite communauté de religieuses vivait sur les lieux et c’est Robert III, évêque de Chartres qui consacre l’endroit en 1160 ; une abbaye et une église y sont construites en 1179.

La congrégation subit les cataclysmes engendrés par la guerre de Cent Ans puis plus tard par les guerres de Religion. En 1562, la maison et les bâtiments de l’abbaye ont presque entièrement brûlé. 

L’abbaye héberge 54 personnes en 1739.

Suite à des problèmes financiers les moniales sont contraintes de quitter les lieux, elles se partagent, entre le Petit séminaire de Chartres, l’Hôpital de Dourdan et l’abbaye de Louïe aux Granges-le-Roi.

La dernière abbesse, Nicole-Pierrette du Portal, arrêtée pour avoir correspondu avec des émigrés, anciens seigneurs de Rochefort, est arrêtée et condamnée à mort le 26 juin 1793.

L’abbaye a été démantelée et ses pierres vendues à des carriers.

Il ne reste aujourd’hui de l’établissement que le retable de la chapelle conservé à l’hospice de Dourdan.

A l’époque de l’abbaye, celle-ci se trouvait sur la paroisse de Sonchamp, ce n’est que suite à un remembrement cadastral que les terres situés sur la rive droite de la Rabette ont été rattachées à Clairefontaine en 1841.

La vie se déroule sans évènements significatifs pendant la première moitié du XIXe siècle. On signale la présence de cosaques qui occupent la région en 1814.

Une nouvelle mairie-école (pour les garçons) est construite en 1843.

Un corps de sapeurs-pompiers voit le jour en 1865 et la même année une école privée catholique pour les filles ouvre ses portes.

Une bibliothèque est créée en 1866.

L’année 1849 voit se produire un évènement qui va bouleverser la vie de la région : c’est l’arrivée du chemin de fer à Rambouillet qui favorise les communications avec la capitale, tandis que des voitures de poste assurent la liaison entre la gare et les villages voisins.

La bourgeoisie parisienne apprécie le calme, la tranquillité et l’air pur de nos villages. Ceci favorise la construction de nombreux châteaux, dont la présence aura pendant plus d’un siècle une influence importante sur la prospérité économique de la région.

Quant au personnel, il n’a pas été difficile à trouver, les paysans locaux n’arrivant pas à vivre de leur lopin de terre, se sont vite convertis en « gens de maison ».

Une quinzaine de châteaux, manoirs et gentilhommières ont été construits à Clairefontaine.

Dans certains domaines quelques personnes polyvalentes suffisaient à assurer le service, mais  pour d’autres, les employés se comptaient par dizaines. C’est ainsi que dans les années 1920, le château des Bruyères servait à lui seul à loger le personnel du château de Montjoye !

Mais même si le travail était dur et s’il y avait peu ou pas du tout de protection sociale, le personnel était généralement dévoué à ses employeurs. La crise économique des années trente, puis la guerre ont mis dans la plupart des cas un terme à cette forme de service.

La plupart de ces résidences était achevée aux alentours de 1900 et il était de bon ton à l’époque pour les propriétaires d’y recevoir des célébrités des arts ou de la politique.

Nous allons donc clore l’histoire du village à cette période pour nous intéresser à un personnage en particulier.

Pendant la campagne de Russie, un jeune officier du nom de Poiré, est nommé chef d’escadron au 7e Régiment de Chasseurs à cheval. Il se couvre de gloire et l’empereur Napoléon le décore de la croix d’officier de la Légion d’Honneur. Lors de la bataille de la Moskova, il est grièvement blessé et laissé pour mort. Il est soigné par une famille polonaise et touché par la sollicitude de la jeune fille de la maison, il l’épouse.

Rétabli, il reste cependant prisonnier des Russes durant quelques années. A sa libération, il entre comme maître d’armes au service de la maison de l’empereur de Russie.

En 1858, naît à Moscou, son deuxième petit fils Emmanuel Poiré. Le père de ce dernier, Jacques Victor Poiré, n’a jamais cessé d’élever ses enfants dans le culte de ce grand-père, de l’épopée napoléonienne et de la grandeur de la France.

Après ses études, le jeune Emmanuel revient en France, demande à recouvrer la nationalité française, ce qui lui est accordé et il part faire son service militaire au 74e Régiment d’infanterie de ligne.

Doué pour le dessin et parlant parfaitement le russe, il est détaché au Ministère de la Guerre où on lui confie la mission de dessiner des uniformes militaires.

Il fréquente Edouard Detaille, peintre de l’Armée qui l’encourage. Revenu à la vie civile, Emmanuel Poiré publie des dessins, des affiches et prend le pseudonyme de CARAN D’ACHE, directement transcrit du russe karandach, mot signifiant « crayon ».

Ses dessins et ses affiches sont réalisés avec un trait fin continu et coloré à la gouache. Son oeuvre comporte également des silhouettes à l’encre de Chine. Il excelle aussi dans la caricature.

À partir de 1881, il publie des dessins humoristiques dans plusieurs publications : Le Tout-Paris, L’Illustration, La Vie militaire, La Caricature, Le Journal, entre autres. Il s’essaye également à la bande dessinée en 1885, avec l’Histoire de Marlborough. Pour le théâtre d’ombre du cabaret Le Chat Noir, il créa L’Épopée, une pièce en ombre chinoise sur le thème des guerres napoléoniennes.

Cette pièce, présentée la première fois le 27 décembre 1886, rencontrera un grand succès.

Le 22 janvier 1891, il se marie à Paris à la mairie du 9e arrondissement, avec Mlle Henriette Azimont-Deligne (née en 1867).

En 1894, il envoie au Figaro le projet d’une œuvre, que Caran d’Ache prévoit d’appeler Maestro, en 360 dessins. Ce roman dessiné n’est cependant jamais paru du vivant de l’auteur.

Il sera publié partiellement en 1999 par le CNBDI.

En 1898, Caran d’Ache fut également co-fondateur, éditeur, dessinateur et animateur du journal Psst…! hebdomadaire satirique. À cette aventure éditoriale fut associé, durant toute sa durée (85 livraisons), son ami Jean-Louis Forain (1852-1931), peintre, graveur et comme lui, dessinateur, mais dans un registre différent de celui de Caran d’Ache.

Personnage bien connu à la Belle-Époque, Caran d’Ache vivait en toute simplicité dans un hôtel particulier du 79 rue de la Faisanderie (aujourd’hui annexe de l’Ambassade des Etats-Unis).

Son œuvre est essentiellement marquée par des sentiments patriotiques, mais il était aussi engagé

politiquement et avait pris des positions anti-dreyfusardes.

Sa compagnie était très recherchée par les amis des arts et des lettres. A Clairefontaine il fréquentait le château des Bruyères, propriété de Georges Dauchez, notaire à Paris, membre de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Mâcon et de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France.

On le voyait aussi au château de Montjoye, propriété d’Henry de Noailles Widdrington Standish et de son épouse Hélène de Pérusse des Cars.

Le château était alors fréquenté par d’autres personnalités, notamment le général de Galliffet (ministre de la guerre) et le prince de Galles, héritier du trône britannique.

Toujours est-il que sa présence dans la commune a durée une vingtaine d’année (1890 à sa mort) et il avait offert plusieurs de ses ouvrages comme prix pour les élèves de l’école à la fin du XIXe siècle.

Caran d’Ache était aussi à l’initiative de la création de jouets en bois découpés, réalisés d’après ses dessins.

Il est décédé à Paris le 25 février 1909. Il semble avoir été inhumé provisoirement dans la crypte de l’église russe de Paris.

Suite à une demande présentée par M. Gaston Fordyce, secrétaire du comité pour l’érection d’un monument à Caran d’Ache dans le cimetière de Clairefontaine, le conseil municipal a autorisé dans sa séance du 13 avril 1909, la famille à acquérir le terrain nécessaire à une concession perpétuelle.

On y construit une sépulture financée par ses amis. C’est un imposant monument de marbre blanc conçu par l’architecte Georges Wybo. Ce dernier avait dirigé la construction des Grands Moulins de Paris et le dôme du grand magasin du Printemps.

On trouve sur le monument deux bas reliefs représentant des scènes de batailles inspirées des cartons de l’artiste. Il y avait également deux médaillons circulaires en marbre sur les façades

nord et sud. L’un d’entre eux en mauvais état a été déposé mais il a été conservé, l’autre a disparu.

Selon Pierre Barbier auteur d’une remarquable étude sur Caran d’Ache publiée dans le numéro 141 de la SHARY en mars 2018, l’inhumation aurait eu lieu le 17 juillet 1909

En 1915, l’industriel suisse Arnold Schweitzer crée une fabrique de crayons qui prend le nom de Caran d’Ache en 1924.

Le monument à Caran d’Ache est aujourd’hui en très mauvais état, notre association s’en est émue depuis plusieurs années. Nous avons sensibilisé la municipalité à ce sujet mais avant que celle-ci puisse reprendre la main pour sa restauration, il a fallu aplanir de nombreuses difficultés administratives. Notamment déclarer la sépulture à l’état d’abandon, c’est maintenant chose faite et elle fait partie désormais du patrimoine communal.

Il faut maintenant procéder à sa restauration et il faudra sans doute faire appel à la générosité des personnes sensibilisées par ce problème ; ainsi qu’aux associations culturelles et patriotiques.