10 mai 2020 : le muguet sans la fête

L’histoire du muguet est bien connue : la preuve, on a beau la relire chaque année, on l’oublie aussitôt !

La légende veut qu’en 1560, Charles IX et sa mère Catherine de Médicis visitent le Dauphiné où le chevalier Louis de Girard de Maisonforte offre au jeune roi un brin de muguet cueilli dans son jardin à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Le roi, charmé, reprend cette pratique d’offrir chaque printemps, au 1er mai, un brin de muguet à chacune des dames de la cour en disant « Qu’il en soit fait ainsi chaque année »(tiré de Wikipedia)

En 1793, le calendrier républicain de Fabre d’Églantine associe le muguet au « jour républicain », le 26 avril et non le 1er mai, rompant ainsi avec cette tradition royale.

A son tour cette tradition se perd ensuite et c’est le chansonnier Félix Mayol qui l’aurait relancée en 1895 : il porte un brin de muguet à son revers le soir de sa première sur la scène du Concert parisien, et cette soirée étant un triomphe, il conserve ce muguet qui devient son emblème et en relance la mode.

Finalement, c’est Pétain, qui décide de remplacer l’Églantine rouge, choisie par la gauche pour la fête des Travailleurs dès 1890, par le Muguet, à la couleur moins marquée politiquement.

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Vous ne reconnaissez pas les rues où passent ces chars fleuris de  la Fête du Muguet ? Normal : ce ne sont pas les chars de Rambouillet, mais ceux de fêtes de Paris.
Le muguet évoquait autrefois beaucoup plus les bois de Meudon ou de Chaville ( où, d’après la chanson  » y avait du muguet… ») que notre forêt.

Mais alors, pourquoi Rambouillet ?
C’est grâce à la volonté de Marie Roux, maire de 1904 à 1919. Dans son discours prononcé à la Fête du Muguet du 24 mai 1908,  il explique les raisons qui l’ont amené à la créer en 1906 :

Marie Roux, maire de Rambouillet« Le but que nous avons cherché en fondant, il y a deux ans, la Fête du Muguet, est comme celui du Syndicat d’initiative, d’attirer à Rambouillet une clientèle qui lui manquait: celle, des touristes.
Pour obtenir ce résultat, il est nécessaire de faire connaître partout le nom de Rambouillet et sa forêt; le meilleur moyen n’est-il pas d’associer intimement le nom de notre ville à celui d’un produit naturel ou manufacturé dont la seule énonciation évoque aussitôt le nom de Rambouillet.
C’est ainsi, pour citer seulement quelques exemples, que la ville d’Agen est célèbre par ses pruneaux, Commercy par ses madeleines, Bar-le-Duc par ses confitures. On ne parle pas de Montreuil sans désirer ses pèches, de Montmorency sans penser à ses cerises; enfin Argenteuil est pour tous le terroir préféré des asperges.

Eh bien ! Nous voulons que désormais toutes les élégantes comme aussi les trottins parisiens ne puissent pas mettre un brin de muguet à leur corsage sans penser immédiatement à Rambouillet. Il faut surtout qu’elles aient le désir de venir elles-mêmes cueillir, avec leurs doigts de fées, la hampe gracieuse et embaumée qui pousse dans nos bois.
Nous voulons faire entrer dans l’esprit de tous que Rambouillet, détient le record du muguet et que celui qui, par inadvertance, vient à fleurir sous d’autres cieux, n’est qu’une piètre contrefaçon. Rambouillet bénéficiera ainsi de l’élégance de son joli muguet et du parfum exquis qu’il dégage.
Nous voulons, enfin. que chaque année les poètes viennent lui apporter un juste tribut d’hommages. Ils chanteront, le muguet, sa grâce et ses senteurs parfumées.Et leurs poésies, dites par d’excellents artistes, répétées par la renommée aux cents bouches, porteront partout la célébrité du muguet de Rambouillet.
Et chacun voudra voir le pays enchanteur qui donne le jour à cette fleur si vantée. Les Rambolitains s’apercevront alors que le muguet est pour eux la poule aux oeufs d’or qu’il importe de conserver avec une sollicitude quasi maternelle; et ils se montreront reconnaissants envers lui en organisant chaque printemps la fêe du muguet. »

Voilà qui a le mérite d’être clair, non ?

Cette photo-ci est bien de Rambouillet : elle a été prise lors de la toute première fête, le 27 mai 1906.
« Vous voyez le petit, au milieu du groupe d’enfants ? Oui, avec son col blanc. C’est le petit Gustave, mais oui, monsieur Laigneau, le fils de Célestine, la couturière et d’Hervigo, le bourrelier. Y parait qu’il fait de beaux dessins, y s’ra p’t’être un jour artiste peintre, comme vous… ! » PARR reparlera de lui.

Il faudra attendre 1911 pour que Fernande Deschamps devienne la première Reine du muguet.
Mais dès la première année, les manifestations sont nombreuses :

  • concert de la société des trompettes,
  • spectacle donné dans le théâtre de verdure,
  • concours de poésie,
  • concours de façades fleuries,
  • concours d’enfants fleuris,
  • concours de bouquets,
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Je laisse la conclusion au rédacteur du « Progrès de Rambouillet » (éditorial du 24 mai 1908) :

Au théâtre de verdure, pendant la fêle de dimanche, a été dite une belle poésie de Fabre des Essarts : « Femme, enfant et fleur ».
C’est bien là la devise de la Fête du Muguet, dont la puissance attractive s’est manifestée si grande.
Tout lui sourit, la foule l’acclame, le soleil même lui est chaque fois favorable. Son succès ira certainement grandissant dans l’avenir.
Et que pourrait-on concevoir de plus charmant que l’effort de la femme arrangeant un bouquet de fleurs ou ornant son enfant,
de plus gracieux que l’enfance joyeuse sous les parures du Printemps,
de plus beau que la poésie,lorsqu’elle célèbre la femme, l’enfant, la fleur.

« Ah, qu’en termes galants ces choses là sont mises ! (…)  La chute en est jolie, amoureuse, admirable. » (Philinte -Le Misanthrope)

Christian Rouet